29 avr. 2017

comme des accrocs d’abord, par places, comme si au-dessous du tissu de prés de bois de champs parallèles s’étendait un autre ciel, symétrique à celui où vole l’avion, plus foncé toutefois, d’un bleu légèrement violacé
ou gris
miroitant dans le contre-jour comme des glaces de métal à l’éclat terne enchâssées dans l’herbe
reflet citron parfois courant rapidement sur la surface quand le soleil
effet d’optique les sertissant de lumière comme si non pas trous mais ces flaques de mercure répandu faiblement en relief sur la terre assombrie
une qui force à peine à s’écarter la route qui l’effleure puis une autre plus grande (la route obliquant vers le haut s’incurvant revenant sur la gauche en suivant la rive s’incurvant en sens inverse et reprenant ensuite sa trajectoire rectiligne) puis plus rien : seulement les champs les bois les petits rectangles scintillants des toits, puis une autre, juste une mare cette fois, puis une quatrième puis cinq puis dix la terre maintenant constellée se déchiquetant se dépiautant pour ainsi dire
haillon percé de mille déchirures
comme si l’avion survolait une de ces peintures un de ces jeux graphiques où de droite à gauche l’une des couleurs prend peu à peu la place de l’autre l’envahissant par fractions grandissantes chaque élément contraire en quantités égales au centre de la toile puis
l’inverse à présent : lambeaux s’étirant en longs chapelets parallèles (quel formidable glacier tonnes d’années glissant lentement laissant en se retirant…) sombres sur l’étendue scintillante à perte de vue
colonnes processions de pèlerins cheminant fantastique armada cinglant vers
millions d’années aux épaisseurs bleuâtres rampant rabotant dans un formidable silence peuplé de formidables craquements le granit poli milliers d’îles milliers de golfes de baies de criques où s’arrondit la mer couleur d’huître
nénuphars cernés de clair s’éparpillant sur le fond d’ardoise dérivant
archipel APXI-ΠEΛAΓO : primitivement non ces innombrables grains de terre semés mais au contraire la vaste mer
comme si le sens s’était inversé Contenant pour le contenu Grèce à l’envers (et de même les deux drapeaux l’un à croix blanche sur fond bleu l’autre à croix bleue sur fond blanc) Comme un positif photographique et son négatif sablier le haut en bas où le vide est plein langage retourné comme un gant les coutures ici devenant saillies
tonnerre soudain dans ces silences fleur de feu au cœur jaune aux pétales vermillon s’épanouissant combats pour ces détroits aussi ces passages suédois de fer russes aux vaisseaux bardés de fer s’avançant dans ces mers blanches froid de fer
fin-land suo-mi : terre des marais
les imaginant peuplées de créatures fabuleuses mi-hommes mi-poissons encore comme sur ces peintures où sur le fond de chaux des lignes rosâtres dessinent des êtres aux torses traversés par une arête médiane de chaque côté de laquelle s’évasent les côtes incurvées comme les barbes de harpons
Franciscains moines fanatiques déchaux venus d’où construire ici un sanctuaire de blocs roses lilas bistre cyclamen au toit couvert d’écailles peindre le flagellé le juge en robe prune qui se lave les mains sculpter ces grappes de sang coagulé
treille aux flancs aux paumes aux pieds percés de clous où pendent des raisins
la mer l’archipel tout entier montant vers nous L’une après l’autre en commençant par les plus lointaines les îles disparurent s’enfonçant l’une d’elles basse à peine ondulée s’éleva grandit masquant les dernières elle défila rapidement sur le côté et l’eau rejaillit sous les flotteurs Ses énormes mains de marin aux doigts épais et plats aux ongles carrés bordés de noir par le cambouis cessèrent de s’affairer sur les leviers et les volants du tableau de bord aux multiples cadrans noirs aux multiples manettes noires parmi lesquelles elles couraient les effleurant avec délicatesse comme une anatomie féminine et compliquée le tapage du moteur cessa quand il fut assez près il sauta adroitement sur le rocher et enroula la corde à l’un des pieux de l’appontement
silence touffes d’aulnes sorbiers frissonnant à peine et ces longues herbes comme des plumes roses formant de loin des nuages estompés pastel
casqués et armés de fer eux aussi sans doute ils avaient pris pied sur ces mêmes rochers débarquant de nacelles cloutées ceints de baudriers par-dessus leurs robes brunes avant de peindre sur les parois chaulées les voûtes blanches entre les palmes bariolées des arcades les étranges créatures amphibies
deux s’échappant de la gueule dentelée de quelque monstre des marais ni poissons ni hommes ni femmes avec leurs pieds immenses et plats encore nageoires l’un d’eux pourvu non de seins mais de tétines comme ces femelles de cétacés dont la vulve dit-on est semblable à celle d’une femme semblable douceur
silence l’eau s’étalant en nappe sans se briser sur la surface polie du granit se retirant la laissant mouillée flanc d’une baleine lilas
raisins de sang
ou encore crevassée : non pas roc mais cuir épais de vieux pachyderme sillonné de rides de fissures d’entailles entrecroisées laissées par un couteau ébréché
appontement de planches branlantes grisées par l’eau le gel le soleil de guingois s’appuyant sur un premier rocher bombé franchissant encore un bras d’eau le silence ondulant des joncs pâles puis la pierre sous le pied silence
seulement le faible grincement de la corde se tendant et se relâchant les vaguelettes léchant les flotteurs le petit hydravion rouge et blanc immobile posé sur l’eau comme un insecte aux longues pattes
canonnades pourtant pour quelqu’un de ces rocs quelque forteresse faite de quartiers des mêmes rocs maçonnés gardienne de ces silences de ces dédales de ces lambeaux
certains assez grands avec des chemins des routes des maisons aux toits verts aux parois rouges aux croisées blanches De l’avion les champs récemment moissonnés ou déchaumés où les passages des tracteurs ont laissé des rayures parallèles comme si quelque gigantesque peigne s’était appliqué à les tracer arrondissant les angles enchâssant parfois quelque roche ou quelque bosquet jade comme ces jardins sacrés au Japon où le sable est rituellement ratissé mer figée fauve aux vagues parallèles et immobiles autour de pierres laissées tombées ici et là par un dieu raffiné
d’autres à peine assez grands pour quelques arbres trois pins un bouleau
clapotis de silence
d’autres encore sans même une touffe d’herbe poncés affleurant à peine la surface de l’eau poisson pétrifié pas assez hauts même pour qu’une seule vague ne les recouvre sans cesse relavés revernis milliers de silences
fleurs tonnantes de feu étraves bardées de fer de grands voiliers poussant devant eux dans les détroits leurs figures de proue les volutes de leurs jupes sculptées claquant au vent leurs visages de bois peint levés vers le ciel imperturbables une main cachant l’un de leurs seins peinturlurés leurs masques crayeux fardés de rose leurs yeux bleu faïence leurs épaisses chevelures de goudron flottant sous le beaupré l’eau séparée par l’étrave en chevelure d’écume
comme de sacrilèges coups de tonnerre se répondant dans le silence répercutés par les glaces les roches le ciel vide
Anglais Français aussi barbares roux aux épais favoris Bretons aux larges chapeaux ornés de rubans aux courtes vestes mêmes mains aux doigts épais aux ongles cassés par les cordages
toutes les fleurs sauvages ombelles campanules naines marguerites folle avoine lichens gris-vert ou jaunes comme des pièces de monnaie mordant les unes sur les autres taches d’encre jonquille s’agrandissant sur un buvard constellant le cuir lilas des roches
gravure qui les montre s’affairant autour de canons noirs trapus sur un affût de bois bardé de fer ligoté de câbles que le recul fait se tordre amiral trapu courtaud favori d’étoupe coiffé d’un bicorne une longue vue télescopique dont le cuivre brille dans sa main droite le pouce de l’autre entre deux boutons de sa tunique sur la poitrine
tonnerre et feu
puis le silence de nouveau rien d’autre que le crépitement du feu parfois une poutre s’affaissant dans un rejaillissement d’étincelles les pans de murs les énormes pierres cyclamen des remparts éparpillées parmi les morts silencieux
saisons, châteaux
le vaisseau amiral glissant lentement entre les îles sous l’échafaudage compliqué de ses vergues et de ses cordages quelque reine des glaces sculptée à sa proue les impératrices aux noms bleus et blancs bleus et rouges Alexandra Kristina Katherina leurs robes de neige et d’or flottant autour de leurs cuisses leurs visages de neige un peu gras cruels orgueilleuses souveraines des steppes des bois
princesses aux dots composées d’archipels aux couches remplies d’îles
de forêts grandes comme des continents
se disputant entre elles disputant aux usurpateurs venus du Sud
les détroits
les isthmes
les îles nénuphars
les lacs de mercure
les îles poissons
les processions d’îles
les marécages
les caravanes d’îles sur la mer d’étain les criques les joncs pâles
les hommes-poissons aux corps de neige aux arêtes roses aux femelles à tétines dessinées en rose saumon sur le blanc du silence