27 juin 2017

Au matin du 1er mai 1860, Miss Emily Dickinson, la prétendue «Reine d’Amherst », se réveilla en proie à une mystérieuse inquiétude ; si déconcertée par les fantômes nocturnes et leur indicible reliquat de prescience désorientée que, se glissant silencieusement hors du lit afin de ne pas réveiller Carlo, qui pourtant ronflait de façon fort canine au pied du baldaquin, elle traversa nu-pieds, en chemise de nuit blanche, le tapis tressé de sa chambre tapissée de papier à fleurs jusqu’à sa petite table en cerisier (l’Univers Entier tenait aisément sur son simple mètre carré) où chaque jour elle se colletait avec ses poèmes douloureux, extatiques, et sans prendre même le temps de s’asseoir, elle traça vite ces vers :
 Mourir ! Mourir avant le matin ! 
M’apportera-t-on une chandelle 
Pour que je voie par quel chemin 
Pénétrer dans la neige éternelle ?
à l’achèvement desquels, se sentant quelque peu soulagée, mais l’âme encore un peu paralysée, Emily alla à l’unique fenêtre percée dans le mur ouest de sa chambre d’angle, au premier étage de Homestead (deux autres donnaient au sud, sur Main Street), et, rabattant brusquement les volets pour jeter un coup d’œil revivifiant sur son jardin embelli d’abeilles, ainsi que sur la maison voisine, Evergreens, où résidait Austin, son frère bien-aimé, et son épouse Sue, elle n’eut droit qu’à la vision à peine croyable – qui s’imprima aussitôt et à jamais sur ses rétines telles les dernières images terrestres d’un mourant – d’un énorme barbare chevelu et barbu, effrontément, totalement nu, sauf un chapeau noir à bord flottant, qui faisait sa toilette sur la pelouse d’un vert d’émeraude.