6 avr. 2018

La première fois, pour moi, du moins, c’est seulement une image, un déluge de lumière crue tombée d’un ciel de craie sur la façade, sur les chemises blanches des hommes et les corsages blancs des femmes, à l’exception de tante Lise toute de noir vêtue sur la plus haute marche quoiqu’elle ne fût pas encore aveugle, comme si elle avait porté le deuil éternel de la chair qui ne revit jamais que pour mourir, que chaque instant qu’elle passe dans la lumière, chaque mot, chaque geste – et jusqu’au premier cri, jusqu’au lent mouvement de protestation, d’épouvante du nouveau-né – rapprochent de l’instant où elle cessera d’être la chair pour devenir une image dans la mémoire des vivants puis une image au mur ou pas même une image : une présomption de la chair, la certitude qu’elle a dû être, avant, qu’elle s’est trouvée déjà mêlée à la lumière et au temps puisqu’elle demeure.