Petites Cendres descendait vers la mer en courant, ce n’est pas vrai ce que l’on dit de moi, en ville, non, ce n’est pas vrai, je n’ai pas contaminé ce vieux client qui m’a battu autrefois, voilà ce qu’ils ne cessent tous de répéter, que les prostitués, les bisexuels, toujours nous, disent-ils, transmettent le fléau, mais n’étant pas comme ces autres coureurs agiles du matin, Petites Cendres s’arrêtait parfois, s’appuyant sur les remparts de pierre qui bordaient les trottoirs, boulevard de l’Atlantique, s’essoufflant vite, il se disait qu’il lui faudrait toujours fuir la persécution, qu’il en était ainsi depuis le jour de sa naissance, mais fuir où et comment quand Yinn, comme s’il eût été Dieu, lui commandait de vivre, le transperçant de sa fulgurance, comme s’il eût été ce rayonnant soleil dispersant sa lumière sur l’océan vers lequel courait, courait Petites Cendres, Yinn ayant, rêveur effréné, réalisé deux de ses rêves, avec son architecte, sa maison de retraite La Répétition, pour ses jeunes reines s’effritant tôt sur les planches de la scène, et avec l’appui de la ville, de milliers de bénévoles, de volontaires, la réalisation de toute une communauté, d’un rêve plus débridé encore, celui des Jardins des Acacias, avec ses blanches demeures, son parc, ses manguiers et citronniers, n’eût-il pas fallu appeler ces Jardins les Jardins du Naufrage, car c’était en naufragé, parmi tant d’autres femmes et hommes, tout aussi débilités que lui, bien que ce naufrage pour chacun s’accomplît dans une incommensurable discrétion, chaque maison se refermant sur son secret, oui, c’était en naufragé que Petites Cendres avait échoué sur ces rives, devant la vaste murale aux dessins de verts palmiers, où il était écrit en lettres orange BIENVENUE AU PARADIS, BIENVENUE À TOUS