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18 avr. 2014

ASPE, l’ennui, c’est que je ne connais pas la signification du mot aspe ni davantage celle du mot ASPLE que l’on peut écrire aussi, indifféremment, pour désigner la même chose, si j’en crois du moins le dictionnaire que j’ai ouvert à la page 67 afin de rechercher la définition exacte du mot ASOCIAL, retenu dans un premier temps parce qu’il me paraissait idéal pour me présenter cordialement au lecteur et plus franchement que si je déclinais mon état civil – autobiographie lapidaire, cependant exhaustive, circonstanciée, honnête, qui eût été à sa place en effet à l’orée de ce livre, et j’avais estimé convenable de partir de la définition du dictionnaire, de m’appuyer en quelque sorte ou de m’adosser à cette pierre angulaire de la littérature que constitue malgré tout le dictionnaire – abécédaire mieux ordonné que ne le sera celui-ci –, mais voilà que, sitôt lue et recopiée ma définition – incapable de s’adapter aux normes sociales –, comme je refermais le fort volume, mon oeil accrocha sur cette même page 67, séparés seulement d’ASOCIAL par ASOCIABILITÉ, ASPARAGINE et ASPARAGUS, ces mots, donc, ASPE ou ASPLE, inconnus de moi, puis le dictionnaire me claqua entre les doigts avec un soupir, me révélant peut-être dans ce dernier souffle leur commune signification, mais alors ce fut inaudible et je demeurai avec mon ignorance et ma honte, oui, ma honte, car je possède si peu de qualités objectives que, depuis toujours, je compte beaucoup pour asseoir ma réputation, impressionner l’adversaire et faire mon chemin en ce monde, sur celle que l’on me concéda très tôt, si c’en est une, d’avoir du vocabulaire et même, disaient mes professeurs, un bon vocabulaire, si bon qu’asparagine ou asparagus pourraient tout à fait et très naturellement surgir dans ma conversation, d’autant plus spontanément que je suis incapable de m’adapter aux normes sociales qui excluent, entre autres usages, celui de mots rares susceptibles de saper la cohésion du groupe, d’y introduire le trouble, le malaise, la division, littéralement une mésentente, tout comme et pour les mêmes raisons ces normes réfutent les phrases trop longues ; et c’est pourquoi, ayant tout de même acquis le minimum de savoir-vivre qui fait de moi un éphéméroptère conscient du terme de toute chose et pour ménager les bonnes volontés déjà suffisamment éprouvées, j’en termine maintenant avec celle-ci.